La nouvelle année a fait son apparition il n'y a pas si longtemps que ça et, sans en prendre conscience, nous sommes à nouveau dans le train-train quotidien ou plutôt dans la tourmente… et la question des questions se pose “où est-il ce virage splendide et glorieux ?” promis encore à la Saint Sylvestre par certains illustres savants ?
Si j’avais la double tête du dieu romain Janus, je pourrais peut-être en dire plus ayant alors la capacité de voir vers le passé et le futur au même moment ! Mais malheureusement ou plutôt heureusement, seules les divinités -elles- sont dotées des forces magiques bénéfiques ou maléfiques, tout à leur gré !
Restons un peu dans la légende mythique de Janus, fondateur du Latium et divinité inscrite depuis des lustres dans le Panthéon Romain !
Janus est considéré comme un des dieux les plus anciens et marquants de la religion romaine, dieu omnipotent qui préside tout commencement ! C’est pourquoi, par conclusion naturelle, le premier mois du calendrier romain lui est consacré sous le nom “Januarius”… Et ce n’est pas par hasard si le temple de Janus au Forum Romanum était doté de douze autels, pour représenter les mois de l'année... Janus était également dieu de toutes les portes, comparable aux divinités de l’Egypte pharaonique, gardiennes des passages, elles sous apparence animale. Janus surveillait en outre les entrées des routes, carrefours des départs et retours. Même l’invention de l’usage des bateaux lui serait attribué ! Les plus anciennes pièces de bronze de l’époque de l’Empereur Néron ne portent-elles pas sur une face son effigie à deux têtes et sur l’autre une proue de vaisseau… !
Après l'éminent poète latin Virgile, c’était à Ovide de glorifier la divinité dans son œuvre sur les fêtes et rituels religieux “Les Fastes”... Janus… possédant à lui seul la garde de l’immense univers… L’origine de Janus est un mystère… les tentations pour dénicher quelques sources crédibles sur son origine mythique ont plutôt échoué. Une des théories les plus saugrenues identifie Janus avec le dieu hindou Ganesh à deux têtes mais successives, tête d’humain puis d’éléphant… Une autre, moins hasardeuse, est celle du rapprochement avec le dieu étrusque Than, souverain des augures et des points cardinaux...
Janus et ses amours… ! La nymphe Cardea orchestre toutes les portes du ciel et de la vie laissant pénétrer les lumières. La nymphe Venilia a le pouvoir sur les vents et la mer. La légendaire nymphe Juturne quant à elle, déesse du Latium, est la génitrice de son fils Fontus, dieu des sources et des eaux courantes… !
Et je dirais la première pierre mythique pour les futures œuvres architecturales à la gloire de l’Imperium Romanum était ainsi posée ! Citons les aqueducs, indispensables piliers de l’Empire, les thermes publics, lieux de sociabilité et les merveilleuses fontaines... celle de Trevi de Nicolas Salvi, un des points culminants du baroque architectural... ou encore celle des Quatre Fleuves, symbole des continents connus de l'époque, à travers le Rio de la Plata (Amérique), le Danube (Europe), le Nil (Afrique) et le Gange (Asie) du célèbre Bernini, seul artiste en mesure d’insuffler la vie au marbre… !
L’importance de l’eau… ”principe de toutes choses” [Thalès de Milet]... joue également un rôle prédominant dans la culture arabo-andalouse qui maîtrisait le qanat, système souterrain destiné à capter l’eau pour alimenter le bassin central des jardins de splendides palais. La fraîcheur et l'harmonie d’une nature ordonnée, procurant relaxation spirituelle et récréative, manifestent ainsi l’idée que se font les croyants du Paradis tel décrit dans le Coran. Ces jardins clos s’inspirent des édens royaux -pairidaeza- de la Perse sassanide... découverts lors de la conquête arabe au VIIe siècle.
A Grenade, la splendeur de la légendaire Alhambra et ses agdals aux bassins et fontaines témoignent de la richesse de l’Andalousie... temps de la coexistence et de l'interaction de plusieurs cultures, vivant côte à côte voire même ensemble pendant des siècles ! Andalousie, carrefour des cultures depuis l’Antiquité, dominée en premier lieu par l’Imperium Romanum… sans oublier l’influence des Phéniciens, fondateurs de quelques villes en terre hispanique, dont Carthagène (Carthago Nova)... ville jumelle de Carthago, centre du pouvoir punique !
Les trois guerres puniques entre Rome et Carthage témoignent de batailles féroces entre ces suprématies pour dominer la Mare Nostrum… les contrées du pourtour de la Méditerranée en jeu… Tout commence avec la Sicile comme pomme de discorde ! L'influence militaire romaine poursuit son emprise… La revanche ne se fait pas attendre ! Les troupes puniques sous la conduite du courageux général Hannibal Barca traversent le territoire ibérique avec un imposant contingent d’éléphants de guerre. Ils parviennent à franchir les Alpes enneigées... soutenus par des Gaulois … et avancent jusqu’aux provinces du nord de l’Italie! Rome en turmoil, le peuple terrifié clame: “Hannibal ante portas!”... -Hannibal aux portes!-. Mais miracle, sans raison apparente, Hannibal se retire et retourne à Carthage avec son contingent fortement décimé.
Pour autant, le conflit n'est pas résolu pour les sénateurs romains… Bien que Carthage ne soit plus une menace imminente, Rome décide de la détruire... La rhétorique du grandiloquent orateur Caton l’Ancien s'avère convaincante. Ne conclut-il pas tous ses discours devant le Sénat ainsi… “Carthage doit être détruit”! Lors de la dernière guerre menée en Afrique (149 av. JC - 146 av. JC), Rome combat Carthage réduisant à néant son adversaire... !
Retournons à l’invasion arabe en Espagne par des Omeyyades de Damas au début de VIIIe siècle conquérant d’abord Séville et sa région..., et plus tard l’invasion par des Berbères venant d’Afrique du Nord ! Après pas loin de six siècles d’occupation du sud de la péninsule ibérique... le nord quant à lui restant chrétien avec ses royaumes [Léon & Castille, Navarre, Asturie, Aragon et le Comté de Barcelone]... le Califat des Omeyyades perd peu à peu son influence sur ses royaumes telles Cordoue la tolérante avec sa culture diversifiée et sa prestigieuse Mezquita (mosquée- cathédrale) fleuron de l'Occident musulman médiéval... tout comme Séville et son emblématique Palais de l'Alcazar ! Seuls les Maures, représentés par les Almoravides, suivis des Almohades, s’accrochent à leurs contrées et bourgades montagneuses. Ces derniers reprennent finalement le flambeau à Séville et Cordoue…
Cette hégémonie trouve progressivement sa fin avec l’échec des Sarrazins à Poitiers favorisant la Reconquista espagnole déjà initiée par le Royaume chrétien d’Asturie au XIe siècle. Les échanges culturels et administratifs s'évaporent au fil des ans… même l’architecture fait son virage rétrospectif... l’Antiquité Romaine à l’esprit... bâtissant de nouvelles demeures à la mode florentine... “appellation” Renaissance andalouse... Bon exemple, l’impressionnant Palais de Charles Quint construit aux abords de l'Alhambra après la reprise du territoire de Grenade géré par les Nasrides, symbole du triomphe du Catholicisme ! Aujourd’hui il héberge le Musée des Beaux-Arts et le Musée de l’Alhambra !
Le Sultanat de Grenade, dernier bastion musulman, après plusieurs siècles de prospérité grâce à son commerce florissant, souffre de tourbillons politiques internes… et s'écroule. Un dernier effort désespéré pour s'allier aux Castillans catholiques est vain…
Affrontant un long siège, le jeune Sultan Boabdil (El Rey Chico) est forcé de capituler en 1492 devant le Roi Ferdinand II roi d’Aragon et Isabelle de Castille dite la Catholique ! La coexistence sur plusieurs siècles en Al-Andalus des trois religions du Livre touche à sa gloire finale…
Petite anecdote... Le vieil émir Abu-Hasan Ali Muhammed XI (El Viejo), père de Boabdil, séduit par le charme d’une esclave chrétienne, l’énigmatique castillane Isabelle de Solis (Soraya), la prend pour épouse et ils eurent deux fils... [baptisés Juan et Fernando de Granada à la Reconquista] …
Au grand dam de sa première épouse Aixa... El Viejo la renie et l’installe dans le palais Dar-al-Horra… Belle occasion pour Aixa d’intriguer contre le pouvoir en place ! Sous son influence grandissante, Soraya elle aussi sème la zizanie dans l'équilibre de la politique de l'Emirat entraînant le déclin de ce dernier bastion d'Al-Andalus!
Une légende raconte qu’après avoir remis les clés de la ville à Isabelle de Castille sur sa route vers l'exil, l’émir Boabdil, passant le col de la Sierra Nevada, aurait jeté un ultime regard sur son Palais de l'Alhambra, fleuron de l’art hispano-mauresque. Contemplant ce paradis perdu dans la lueur du crépuscule, il aurait alors émis de longs soupirs mêlés de pleurs. Sa mère, la Sultane Aixa lui aurait fait cet humiliant reproche : [...ne pleure pas comme une femme ce que tu n'as pas su défendre comme un homme…]. Depuis lors, on parle du col de el Suspiro del Moro (le Soupir du Maure) ! Son père, El Viejo saisi l'occasion et s’installe dans le palais délaissé par la Sultane… avec son amour Soraya alias Isabelle de Solis… question de goût et finesse. Ironie de l'histoire, ce palace sera ensuite intégré au complexe du Monastère de Santa Isabel la Real… !
Le mélodrame de l’Histoire peut surprendre et exposer les protagonistes à la fragilité de leur existence... Mais selon l'illustre penseur Jean Pic de la Mirandole dans son “Discours de la dignité...” (1486), [...l’Homme est un admirable caméléon…]. Il revient donc à l’Homme... qui n’a pas une nature prédestinée... de choisir les vertus de son propre avenir et de devenir l’artisan de soi !
La condition sine qua non d’un humanisme bienfondé contre tout fatalisme. Bien que nous n’ayons pas la maîtrise de la nature en tant que telle... de ses éruptions volcaniques, tremblements de terre ou autres forces majeures… l’idée de surpasser notre propre nature est jouable ! Excepté lorsque le destin entrave notre chemin… imposant un scénario façon tragédie grecque !